Réussir à travailler en mode confiné pour se projeter dans le monde de demain

Il y a quelques temps que je souhaitais faire un article sur le travail à distance. On peut dire que l’actualité à été la plus rapide, et qu’elle a en plus créé un contexte totalement inédit : le confinement. Alors, en pareille situation, comment travailler efficacement ?

Tout d’abord, le contexte du travail en confinement comporte des spécificités qui accroissent nettement la difficulté du travail à distance qu’il est utile de rappeler en quelques mots.

Le travail à distance en tant que tel comprend des problématiques connues : changement d’habitudes, des modalités de travail et d’organisation; isolement perçu pour certaines personnalités, intensification de la concentration; tentations accentuées de ne pas travailler ou…de sur-travailler, pour montrer que l’on est … Bref, au début pour certains et plus durablement pour d’autres, ce type de distanciation peut très facilement générer du stress.

Avec le confinement, une multitude de facteurs vont venir interférer avec votre journée de travail habituelle et tout compliquer ! La situation vous impose en effet de morceler votre temps de travail pour conjuguer avec un conjoint et éventuellement des enfants présents, chacun exigeant de vous temps et attention, à tour de rôle ou en même temps, et avec une intensité très variable dans la demande ! Un nombre significatif de personnes réunies dans un espace – qui peut soudain apparaitre exigu – se voit contraint de délivrer des résultats – professionnels ou scolaires – dans un même lieu et un même temps, chacun se sentant potentiellement prioritaire; ce sentiment de priorité pouvant lui-même être accentué par des personnes extérieures : managers, professeurs ou instituteurs, qui potentiellement font pression, sensibles eux-même à la pression de leur direction ainsi qu’à celle du…confinement. Du coup, le matériel informatique se voit pris d’assaut, avec lui les lieux un peu isolés, plus tranquilles, au sein du domicile…quand c’est possible ! Ajoutons à cela la nécessité d’accompagner des enfants parfois insuffisamment autonomes dans leurs devoirs quand ce n’est pas dans le suivi des cours; ou d’accomplir les tâches ménagères inévitables, dont la fréquence est encore accrue du fait de la situation du moment, toute la famille se trouvant réunie des jours durant à chacun des repas de la journée ! Bref, le contexte est particulièrement exigeant en terme de charge mentale, et pour éviter que de la crise s’ajoute à la crise, il va falloir que chacun y mette du sien. D’accord, mais professionnellement, çà veut dire quoi, au juste, y mettre du sien ??

Un temps journalier à diviser autrement

Clairement, la situation exige que le temps soit partagé : boulot/famille, conjoint 1/conjoint 2, tâches ménagères, accompagnement du travail des enfants, etc. En conséquence, il serait totalement inapproprié d’exiger actuellement de ses collaborateurs la même disponibilité que d’habitude. Clairement, il est inévitable que chacun réduise la part journalière consacrée au travail, ce que tout le monde doit accepter, des managers les plus exigeants aux collaborateurs les plus zélés. Comme les murs, le temps n’est pas extensible ! Ce temps de confinement, il va donc falloir le gérer et établir un planning qui respecte les impératifs de chacun. 

L’affaire n’est pas simple, car ce planning dépend de chacune des personnes de la cellule familiale, mais aussi des besoins extérieurs, notamment ceux de vos partenaires professionnels. Par exemple, votre boss exige de vous que vous soyez présent à une heure précise pour une visioconférence : je ne peux pas faire autrement, allez vous probablement dire et expliquer à votre famille. Parti comme çà, si chacun dans la famille fait de même, ce n’est pas gagné ! Alors quoi faire ?? Négocier. Avec votre patron, par exemple : votre présence est-elle vraiment indispensable ? Pouvez-vous lui communiquer les éléments dont il peut avoir besoin en amont de la réunion et du coup, ne pas y participer vous-même ? Si vous êtes indispensable, est-il possible de décaler la réunion ? Vous pouvez aussi avoir à négocier avec votre conjoint, pour qu’il s’occupe des enfants durant ce laps de temps; ou bien encore faudra-t-il peut-être aussi négocier avec les enfants directement ? 

Voilà quelque chose d’intéressant dans cette curieuse période que nous vivons actuellement : il va falloir à la fois rentabiliser au mieux le temps consacré à tel ou tel sujet, mais aussi prioriser et négocier. Les collaborateurs doivent oser présenter des solutions alternatives pour délivrer leurs apports; les managers, accepter la négociation et s’adapter; idem pour le conjoint et même les…enfants ! C’est ainsi que chacun y mettra du sien.

Négocier, c’est exposer son contexte, mais aussi entendre l’impact que vos difficultés ont sur l’autre, et proposer des solutions alternatives pour convenir ensemble d’un mode de fonctionnement à la fois optimisé et dégradé. Optimisé et dégradé ?? C’est quoi ce binz ?

Ben oui, le temps de travail est de fait dégradé par un partage nécessaire du temps, ce qui nécessite de s’adapter et de faire appel à des ressources nouvelles. Justement, parmi ces ressources, on trouve évidemment cette nécessaire optimisation du temps passé. Or, en l’occurrence, la division du temps liée au confinement est extrêmement exigeante et nécessite professionnalisme ainsi qu’un sens aigu des priorités et de leur affirmation. Or, être professionnel, ce n’est pas accepter n’importe quoi au risque d’abîmer le reste. Être pro, c’est optimiser par une priorisation fine, rigoureuse et négociée avec toute les parties prenantes, qui, répétons-le, doivent comprendre le mieux possible votre contexte; pour çà, il faut investir du temps pour expliquer et responsabiliser. 

Du côté du manager, il est évidemment essentiel de respecter toutes ces contraintes singulières. Feindre d’ignorer le contexte serait, comme toujours, à la fois contreproductif, anti-professionnel et problématique en terme d’impact psycho-social. Tenant compte de ce temps professionnel réduit, nous recommandons que les relations soient limitées au maximum – pour peser le moins possible sur la charge journalière. A contrario, la situation de confinement peut s’avérer éventuellement productive pour des sujets de fond, qui appellent temps et réflexion; il peut alors s’avérer bénéfique de convenir d’un moment d’échange pour partager ces réflexions thématiques.

De façon générale, dans une situation aussi complexe que celle du confinement, il est vivement recommandé d’établir des règles de fonctionnement collectif avec toute personne susceptible d’attendre quelque chose de vous. Franchement, si on ne procède pas de la sorte en ce moment, dans une telle situation de crise et d’injonction, les risques d’incompréhension sont grands et les dégâts potentiels considérables. En clair : à quelles conditions donnerez-vous le meilleur de vous même dans ce jeu collectif ? Sur ce point, précisons qu’il ne s’agit surtout pas de se montrer psychorigide, tout autant, encore une fois, qu’il conviendra de ne pas tout accepter. Il est ainsi utile de définir ce qui est négociable – et d’expliquer pourquoi – et ce qui ne l’est pas – et d’expliquer pourquoi aussi ! 

Par exemple, vous devrez dire non à un manager qui veut vous obliger vous inscrire dans un temps professionnel excessif et/ou non optimisé. Pour cela, encore une fois, il est essentiel, calmement et de façon déterminée d’expliquer sa situation. Je le répète : vos managers doivent tenir compte du contexte et de la charge mentale que cela impose. De même devez-vous utiliser la négation de façon ferme avec vos enfants, sur les mêmes fondements négociable-pas négociable + sens. Sur ce point, on peut même considérer que cette période constitue un moment de choix pour que les enfants se responsabilisent davantage et participent à l’effort familial. Encore une fois, des règles du jeu – dont on prendra soin d’expliquer le sens – doivent être mises en place. Les enfants – excepté évidemment les tous petits – doivent ainsi apprendre à travailler à distance, être disciplinés dans le suivi des cours et des travaux de groupes; et s’il n’ont pas compris qu’il convient qu’ils le fassent dans leur intérêt, il conviendra qu’ils le fassent pour vous. De toute façon, plus ils avanceront dans leurs études, plus ces modalités de travail seront fréquentes. Par ailleurs, il serait illusoire de penser que vous devez/pouvez remplacer leur enseignant. Le confinement et la nécessité pour tous de télé-travailler peut donc constituer à la fois un moment d’effort familial positif et une occasion pour que les enfants jouent un rôle actif dans la solidarité familiale, notamment dans le respect du « temps parent » : eux aussi doivent apprendre à être seuls et à gérer leur temps. A cette fin, les adultes doivent se montrer gardiens d’une certaine discipline et rappeler que le « non » fait aussi partie de la gamme des réponses. A défaut, il s’avèrera impossible de travailler sereinement et efficacement. En la matière, les règles du feed-back demeurent, et lorsque les choses progressent, il est juste de le dire, de dire pourquoi on est satisfait et de remercier. Il faut être fier de ce que l’on réalise de positif, et que cela contribue à alimenter la confiance en soi et le désir de se rendre utile.

Le confinement, une opportunité d’optimiser son temps de travail et la qualité relationnelle

Tout ce qui précède indique qu’il va falloir rentabiliser chaque minute professionnelle. Dans ce sens, chaque meeting à distance doit être savamment mené pour être le plus efficace possible dans un minimum de temps. En d’autres termes, dans le cadre des impératifs et des règles de fonctionnement évoquées plus haut, il convient de s’interroger sur ce qui permet d’accroître en quelque sorte la “productivité relationnelle”. Alors, sur quels leviers agir, quelles compétences développer, pour que la relation à distance soit à la fois la plus utile et la plus agréable possible ?

Pour commencer, nous vous recommandons, tant que faire se peut, de…profiter ! ! Ben oui, rappelons tout de même qu’à toute chose malheur peut-être bon. Oui, vous êtes chez vous, vous pouvez faire ce que vous voulez, personne ne nous voit : détente en famille, sport, lecture, mise en route à la cool, vous devez vous autoriser tout cela sans culpabiliser ! Après tout, combien de temps perdez-vous habituellement dans les encombrements et déplacements en tous genres ? Combien de temps pourrait se voir économisé si les réunions étaient optimisées ? Alors, oui, si pour vous, par chance, la situation de confinement n’offre pas que des inconvénients, profitez-en ! Vous n’en serez que plus efficace durant vos slots professionnels, et la vie de tous n’en ira que mieux ! 

Lorsque vous êtes manager, faites pareil, lâchez du lest et respectez au possible le rythme de chacun; encore une fois les temps ne sont pas faciles. A contrario, vous devrez vous montrer exigeant et insister sur le fait que chacun soit le plus efficace et concentré possible lors des moments professionnels. Car si les objectifs doivent être le moins impactés possible par la situation, les moyens pour y parvenir devront sans doute très considérablement évoluer pour se conformer aux exigences contextuelles. Mais de grâce, soyez attentif et intéressez vous à la vie de vos partenaires professionnels : pour certains, le moral va être mis à rude épreuve, pour tout un tas de raisons à commencer par des raisons de santé, d’inquiétude, et dans le pire des cas, de deuil. Alors, managers, soyez à l’écoute, vous pouvez être utiles !

Quelques modalités pour travailler à distance en intelligence collective 

Tous les comportements que nous recommandons habituellement pour favoriser le développement de l’intelligence collective prennent, du fait de la distance et d’une moindre réactivité possible, une dimension essentielle qui nécessite de professionnaliser son approche relationnelle, et plus généralement de se maîtriser. Alors, quels comportements adopter ? Eviter ? Pour quels dangers ? Quelles opportunités ?

Si vous craignez de ne pas vous habituer aux exigences du télé-travail, essayez de recréer les conditions habituelles : heure de réveil, tenues vestimentaires, quelques rituels qui vous permettent de rentrer en “mode travail”, etc. Au risque de surjouer un peu, ces “essentiels” seront pour vous autant de balises auxquelles vous raccrocher.

Attention de ne pas être obsédé par le fait de prouver que vous bossez, attention à la surreprésentation pour être visible, prouver qu’on fait le taf. Ce qu’il y a de bien dans cette période, c’est que l’on n’a pas d’autre choix que celui de se concentrer sur les résultats. Il est bien moins temps de faire ses heures que de produire de l’efficacité. 

Il convient de faire en sorte de régler le mieux possible tous les soucis matériels éventuels. Cela contribuera à baisser le stress, et çà évitera de grands moments de solitude ! 

Attention au fait que le travail à distance s’avère particulièrement peu compatible avec le fait de se couper la parole ou d’intervenir intempestivement ou dans le même temps qu’un autre parle. Attention aux réunions à distance, prévoir un outil de chat pour que les questions remontent. Les interventions spontanées, intempestives, créent de la confusion. Evitant cela, on a l’impression de perdre du temps. Il n’en est rien, vous verrez qu’en respectant une parole ordonnée, vous gagnerez du temps. 

Cela tombe bien, car il convient de minimiser le temps passé en visioconférence : plus fatigantes – davantage de concentration – effet de l’écran, modalité de travail exigeant davantage de maîtrise de soi… En cas de temps long de télétravail, faites les pauses nécessaires il est inenvisageable de passer de longues heures derrière son écran sans bouger. Encore une fois, chacun doit tenir compte du fait que le télétravail exige beaucoup d’attention et de concentration, et s’avère donc fatiguant. Oui, multipliez les pauses.

Prenez garde aux interprétations plus encore qu’à l’accoutumée, du fait de la distance et de la virtualité. Si on pense que ce que dit l’autre est « débile », creuser davantage pour essayer de comprendre son raisonnement en posant des questions ! Débile, il ne l’est pas, donc l’important, c’est de savoir comment il fait pour parvenir au résultat qui vous surprend. Soyez patient, et ne lui coupez pas la parole pour lui poser la question suivante !

En télétravail savoir se synchroniser avec l’autre est plus important encore qu’en présentiel. Il est donc nécessaire de tenir compte de l’autre : son rythme, ses besoins de reconnaissance, son moral.. Faire un minimum attention, d’autant que la période est particulière. Ne pas chercher à imposer son savoir comme la vérité; et plus généralement, ne pas chercher à s’imposer..

Etre orienté solution. Rien ne sert de “bugger” sur un problème ! Encore une fois, il s’agit d’optimiser le temps passé.

Maîtriser ses émotions tout en étant authentique le plus possible. Bien entendu, la relation professionnelle à distance n’est évidemment pas ce qu’il y a de plus adapté pour expurger ses émotions. Il appartient à chacun de coller à l’agenda et de se montrer rationnel. Bon, ceci dit, parfois, la coupe est pleine ! Alors, dîtes-le, rapidement, mais surtout surtout de façon non-émotionnelle. Sinon, tout le monde sera embarrassé, vous y compris. Je dis rapidement ce qui m’affecte, pourquoi cela m’impacte, mais derrière, on assure. Votre mérite n’en sera que plus grand, y compris entre vous et vous-même ! Et plus encore qu’à l’habitude – surtout en situation de tension – gare à vos conduites de survie ! J’évoque ici ces comportements que tout un chacun adopte quand on a la perception d’être acculé, de se trouver dans les cordes : agressivité, évitement, effacement… Ces comportement constituent rarement des solutions, moins encore dans un contexte de télétravail. Ainsi, attention à l’agressivité, ou à l’omniprésence. La distance contribue à diminuer la conscience de l’impact tout autant que les éléments qui permettent de vérifier cet impact. D’où parfois une présence excessive, envahissante, interrompante, etc. L’inverse aussi est évidemment possible, par un effacement excessif. D’où l’outil « chat » ou la possibilité de faire des quizz, des votes, pour que, tranquillement, on puisse avoir les inputs de tous et prendre le pouls de la salle en continu

En conclusion, bien sûr, dans ce contexte de confinement plus encore qu’à l’habitude, n’existent que des situations particulières qui ne se ressemblent jamais tout à fait et ont leur lot de difficultés spécifiques. De même, il convient d’avoir toujours en conscience que rien n’est jamais complètement simple et évident, et que le « yakafaukon » est absolument à éviter. Pour autant, ces difficultés particulières rendent d’autant plus cruciale la nécessité de se donner tous les moyens de fonctionner en intelligence collective – au plan professionnel comme au plan familial – et qu’une bonne partie des recettes pour y parvenir sont connues

Cette crise va sans doute enfin démontrer que le travail à distance, lorsqu’il est maîtrisé dans ses difficultés intrinsèques, peut s’avérer adapté à bien des situations. Par ailleurs, peut-être prendrons-nous conscience  – enfin – que les heures de travail effectuées en présentiel comptent moins que le résultat ? Autrement dit, que de bons résultats peuvent être obtenus par un travail à distance, ou des journées davantage morcelées, et que le bien-être en entreprise dépend aussi  de la capacité de chacun à mixer davantage, au sein d’une même journée, vie professionnelle et vie personnelle ? Franchement, en terme d’efficacité et d’intelligence collective, l’objectif semble tout à fait atteignable.