05 Mai Témoignages sur le travail en mode confiné : quand çà ne marche pas
Dans un premier article, nous avons rapporté des témoignages de relations professionnelles réussies dans ce contexte inédit qu’est le confinement. Nous tenions absolument à vous en faire part et démontrer que réussir à bien travailler en mode confiné constitue un objectif atteignable, cela au travers d’expériences vécues.
Aujourd’hui, nous vous proposons des témoignages qui vont dans le sens inverse : celui d’un travail en mode confiné vécu douloureusement.
Comme nous l’avons fait précédemment, nous allons donc vous livrer, regroupés par thèmes, différents propos qui ont pu nous être rapportés dans le cadre d’échanges téléphoniques avec certains de nos clients; puis nous aborderons quelques pistes de solution dans le but d’éviter ces errements malheureux.
Stress – hiérarchie
« Alors en ce moment, c’est l’horreur : ils sont flippés, stressés! Bon sang, ils ont encore plus de mal que d’habitude pour gérer leur stress, tout le contraire de ce qu’il faudrait. Du coup, on se tape réunions sur réunions, faudrait être connecté H24 ! Et puis, il y a cette sensation de flicage à peine dissimulé : des questions, des vérifications- est-ce que tu l’as fait ? Comment tu l’as fait ? Branche ta caméra !… Bon, d’habitude, travailler avec ma boss n’était pas simple, mais elle respectait à peu près mon autonomie. Mais en ce moment, elle est sans arrêt sur mon dos à s’occuper de tout ! »
Navrant, non ? Et pourtant, ce témoignage dépeint la réalité d’un relationnel professionnel non maîtrisé, d’un impact sur le collectif totalement négligé; à savoir donc, comme le dit la personne qui s’exprime, « tout le contraire de ce qu’il faudrait ». Le contexte, encore une fois, est difficile : le confinement engendre en effet une charge mentale et une exigence multi-tâches tout à fait anormales, aux conséquences, tant professionnelles que personnelles, potentiellement durablement ravageuses; rappelons-nous que le burn-out fait partie des conséquences à redouter. Tout ceci appelle, à tout le moins, que l’on prenne soin des autres – et de soi – que l’on s’enquiert du contexte de nos collaborateurs, et que l’on accepte de ne pas dupliquer in extenso du présentiel sur du distanciel, a fortiori lorsque l’on sait combien la journée de travail – du fait de la diversité des tâches à réaliser en confinement – est appelée à se morceler. Alors bien sûr, il est des objectifs à ne surtout pas rater; il en va parfois authentiquement de la survie de l’entreprise. C’est vrai, mais, précisément, ce contexte, si atypique et exigeant, exige de prioriser, et de maximiser la qualité de la relation professionnelle. Plus que jamais, se montrer professionnel ne revient pas à autre chose.
Déni du contexte – difficulté à dire non – culpabilité
« Avec mon chef, c’est simple : il n’y a aucune prise en compte du contexte du confinement. Chez moi, mon conjoint est en télétravail, j’ai deux enfants en bas-âge, donc forcément pas autonomes. Mon mari et moi, on est obligés de mettre les petits devant la tablette je ne sais pas combien de temps par jour ! J’ai honte ! Franchement, côté boulot, on ne sait pas assez dire « non », se positionner, on est de trop bons soldats. Je me rends compte que l’on pêche par excès de zèle, et le pire, c’est que cette période pourrait être un bon moment familial. Oui, on culpabilise à mort… »
Le mélange est terrible : charge de travail, pression, culpabilité à l’égard des enfants – petits en l’occurrence – sentiment de rater un moment qui pourrait être positif, etc. Ici encore, les injonctions professionnelles sont pressantes et ne font aucun cas de la réalité de chacun; pas plus d’ailleurs, de façon plus globale, du contexte de l’époque. Et puis, il y a autre chose… En l’état, la personne subit une forte pression de sa hiérarchie. Mais nous avons aussi discuté avec des salariés qui se mettent la pression tous seuls, pour montrer qu’ils bossent à 120%, avec au bout du compte les mêmes conséquences de culpabilité et d’épuisement psychologique ! Vraiment, attention à cela, il est urgent de réapprendre à dire « non », à marquer la limites; et à ne pas faire de zèle au détriment de tout le reste. Le confinement, terriblement exigeant, doit être le fruit d’une négociation paisible entre les impératifs de chacun. Le managers qui décident de ne pas considérer cet aspect des choses rateront une belle occasion de créer un moment positif, mais feront aussi courir des risques considérables aux équilibres personnels, conjugaux et familiaux de leurs collaborateurs. Il en est évidemment de même avec les personnes qui en font trop. Plus que jamais, la réussite se trouve dans l’équilibre. Et c’est dans le cadre de cet équilibre qu’il convient d’optimiser l’efficacité professionnelle.
Réunions qui s’enchainent sans discontinuer
« Nous, on est en agendas partagés et ils sont… remplis de réunions, y compris à l’heure du déjeuner ! J’ai jamais travaillé autant ! Puis, franchement, l’ordi, c’est crevant ! Et tout çà sans lever mes fesses de la chaise, je vais ressortir de ce confinement physiquement ravagé ! »
Nos lectures quotidiennes laissent paraître que la plupart des gens considèrent le travail distancié plus fatiguant que le présentiel : concentration durablement élevée, sans pause; pas de distraction; une intensité plus forte qu’à l’accoutumée; etc. Dans notre petite structure, nous ne ressentons pas cela. En effet, l’habitude nous a amené à retrouver un confort et une efficacité proches du présentiel. Mais faute de pratique, et à la faveur de la pression et des enjeux, la nécessaire distanciation actuelle semble s’avérer spécialement coûteuse en énergie. Alors, si en plus, on surcharge la barque en multipliant les réunions non-stop, il ne faudra pas s’étonner que la qualité de ces dernières en pâtisse : énervement, impatience, lassitude, manque de participation, maux de tête, la cohorte des effets secondaires d’une approche non-maîtrisée du travail à distance est considérable ! Nous savons par exemple que dans une grande école de commerce française, les professeurs s’attachent à dispenser leurs enseignements dans des créneaux de deux heures maximum, avec une pause au milieu; cette précaution n’est peut-être pas inutile.
Autre point : de grâce, soignez votre ergonomie. D’autant qu’en ce moment, les ostéopathes ne peuvent pas beaucoup vous aider !
déni du contexte – surcharge de travail
« Il y a franchement du déni. Bon sang, c’est la galère : on est en famille, en ville, dans un appartement petit, et il faudrait faire comme si on était toute la journée seul, dérangé par rien du tout, et plus corvéable encore que d’habitude ! Franchement, çà craint. »
Si le déni du contexte est redoutable, il s’avère aussi – du fait même de toutes les connaissances que l’on a sur l’accroissement de la charge mentale – totalement anti-professionnel et contre-productif. Plus généralement, ne pas tenir compte de certains éléments contextuels susceptibles d’impacter positivement ou négativement les objectifs constitue une erreur par ailleurs bien trop souvent rencontrée, particulièrement nuisible à la réussite. Rien en ce moment ne devrait être entrepris sans avoir établi, de la façon la plus partagée possible, des règles de fonctionnement collectif spécifiques à la période. En effet, soucieux d’efficacité durable et d’adhésion au projet professionnel, comment ne pas se poser la question suivante : de quoi les membres de mon équipe ont-ils besoin pour être motivés et contribuer le mieux possible à la réussite de l’ensemble ? Ce que nous appellerons peut-être plus tard « le grand confinement » constitue, nous en sommes persuadés, une formidable occasion de rassembler une équipe autour d’un projet; ou à défaut, de la décourager durablement, au détriment direct de l’engagement de chacun. Leaders, faites vos choix !
Tout est toujours urgent : problème de priorisation
« Stress maxi ! Alors chez nous, on est en mode pompier en permanence : pas d’anticipation, organisation sans cesse remise en question, priorisation calamiteuse. En mode confiné, c’est la même chose, puissance 10 ! On bosse plus qu’avant et on a beau faire, c’est jamais assez. »
Là encore, le confinement ne fait qu’aggraver la situation des organisations à l’intelligence collective faillible, bien indépendamment des effets du Covid-19. Nous avons pu travailler avec quantité d’entreprises qui fonctionnent comme cela, en mode « pompier ». Dans ces structures, ceux qui savent éteindre les incendies sont bien davantage valorisés que ceux qui font en sorte que le feu ne prenne pas. En permanente réaction aux évènements, l’anticipation y est, d’une certaine façon, consciemment négligée. Alors, à distance, et plus encore en mode confiné, comment s’étonner que l’on demeure confronté à un besoin de sur-réactivité pour faire face à nombre d’exigences non anticipées ? Cette façon de fonctionner est déjà habituellement épuisante; en confinement, elle devient écrasante ! Dans un monde bien fait – celui d’après ? – on pourrait imaginer que cette période difficile soit l’occasion de se poser les bonnes questions pour enfin prendre le mal à la racine… Vous en pensez quoi ?
Manière de parler ensemble – Charge mentale
« Et puis, faut voir comment on te dit les choses. Tu serais catastrophé ! On nous parle comme à des chiens, les gens se coupent la parole, çà vitupère… Et tu t’en doutes, c’est pas les plus haut placés qui sont les plus exemplaires. Bref, c’est une cacophonie anxiogène. En plus, y a les enfants, mon épouse qui vit un peu la même chose que moi professionnellement, les courses, mon père qui va mal… Sacré épreuve pour mon couple. Si çà marche, on s’achète un bateau ! »
Nous avons évoqué la charge mentale, mais pas encore la nécessaire pratique d’un « art de la conversation ». Quid ? Ben oui, se parler correctement, tout simplement ! La communication à distance – le téléphone nous l’a appris depuis longtemps – exige par exemple que l’on ne se parle pas en même temps. Certes, ce n’est pas toujours facile, et, notamment, l’on peut être tenté d’user de sa position hiérarchique dominante pour s’imposer; si l’on cède à cette tentation une fois, il y a de fortes chances pour que cela arrive une deuxième fois, puis une troisième, etc. Non, il convient de faire preuve de retenue, de souplesse, de flexibilité, et de laisser l’autre aller au bout de son propos; charge en retour à chacun de se discipliner pour synthétiser sa pensée et réduire son temps de parole. Parler à tour de rôle, fonctionner en mode « tour de table » – peut-être en prenant des notes pour répondre un peu plus tard à untel ou untel autre – contenir sa parole, modérer sa tonalité, ne pas sur-réagir, prendre garde aux « putsch émotionnels » – particulièrement pour les plus sanguins d’entre nous – etc. Toutes ces recommandations répondent à une thématique commune : la maîtrise de soi, au service de l’intelligence collective. Car oui, chacun doit se sentir responsable de son impact, mais aussi de l’ambiance et, au bout du compte, de l’efficacité collective. Là encore, le travail en confinement permettra peut-être d’améliorer la qualité des échanges, au bénéfice, à la fois, de l’efficacité et du bien-être. Si, si, c’est possible ! De toute façon, le travail à distance, qui va très certainement se généraliser, ne nous donnera pas le choix ! Alors autant s’y mettre dès à présent.
Organisation des réunions
« Un truc inattendu : il y a plus de monde qu’avant qui assiste aux réunions ! En présentiel, on ne peut pas pousser les murs, ce qui limite le nombre de participants; mais pas en virtuel ! Donc, on a une multiplication des intervenants, ce qui rallonge évidemment le temps de réunion ! En plus, c’est un peu à qui interviendra le plus, ou, c’est presque pire, monopolisera le mieux la parole. Forcément, il y a des remarques assassines ou des tacles dits devant tout le monde. Il y en a qui ont l’art de faire perdre la face aux autres. Oui, ça existe d’habitude aussi, mais là c’est surmultiplié. »
Tout comme les réunions nécessitent de répondre à un agenda précis – et à un compte-rendu – il convient de veiller à la pertinence du « casting ». Dans ce sens, une seule question : qui, pour être utile ? Et pas seulement pour paraître ! D’une certaine façon, le travail à distance – et particulièrement dans le contexte actuel – appelle un fonctionnement en mode « commando » : le moins de participants possible pour la plus grande efficacité possible. Dans ce sens, il apparait que, plus encore qu’à l’accoutumée, les réunions ne nécessitent pas moins de professionnalisme dans leur préparation que dans leur déroulement.
Gestion des horaires et des congés
« On nous demande de poser des jours off; mais on nous met aussi des réunions les jours off ! Y a une pression de dingue ! Le contexte est déjà difficile : mon mari a le Covid, mes deux étudiants sont à la maison et se croient à l’hôtel, je me sens fatiguée, excédée. Pour nous tous, le travail à distance est quelque chose d’anormal, mais à devoir être dispo sans arrêt, on se sent dévorés par le temps. Finalement, je me rends compte que le temps de transport est un peu un moment de break ».
Formidable : certains confinent même le droit du travail ! Attention encore une fois au contexte, au risque de burn-out et de démotivation voire de désengagement. La responsabilité de tous, mais particulièrement des managers, est, plus que jamais, engagée. Il convient aussi de se souvenir du point suivant : ceux qui sont surpris à ne pas respecter le droit du travail restent rarement populaires auprès de leur direction.
Autonomie du collaborateur dans le travail à distance
« Vivant seule dans un petit appartement, j’ai fait le choix de quitter Paris pour aller me confiner chez mes parents. Et bien mon boss m’a interdit de le faire ! Alors je ne lui ai pas laissé le choix : j’ai filé comme prévu et je n’ai vraiment pas à le regretter. En plus, le travail à distance se passe bien. »
Histoire authentique ! Nous voulions vous faire part de ce témoignage, parce que ce type d’autoritarisme existe. Deux commentaires : 1) c’est inqualifiable. 2) L’aptitude à s’opposer est essentielle !
En conclusion, il apparait que le travail à distance, particulièrement en mode confiné, à la fois, met en lumière les failles communicationnelles et managériales pré-existantes et même les amplifie. On a coutume de considérer le travail à distance comme un travail en mode dégradé. C’est vrai…si on ne sait pas le pratiquer ! Ce mode relationnel exige en effet de développer des compétences personnelles et relationnelles : ne pas monologuer, prendre la parole à tour de rôle, maîtriser son émotion; plus généralement, maîtriser son impact. Les insuffisances en la matière sont de fait bien plus visibles, insupportables, et productrices d’inintelligence collective qu’en présentiel.
Nous croyons fermement que les entreprises qui souffrent le plus du travail à distance sont continûment inscrites – sans s’en rendre compte – dans une communication dégradée : peu d’attention à son impact personnel, émotion insuffisamment contrôlée, manque de reconnaissance explicite, etc. Le travail en mode distancié agit en fait comme un puissant révélateur. Et plus que toute autre situation connue jusqu’alors, le confinement, terriblement exigeant, se montre particulièrement intolérant à une communication non maîtrisée.
Il serait utile que cette période inédite engendre des interrogations non moins inédites, ou presque. En s’interrogeant par exemple sur le fait de savoir comment mieux fonctionner ensemble ? Ou, plus largement, sur ce qui permettrait d’optimiser l’intelligence collective ?
Dans la plupart des entreprises, la réflexion reste à ouvrir. En tout cas, faites-nous confiance pour la susciter !